Amelia marmonnait dans sa barbe en traversant l'une des artères principales de la ville. On l'envoyait faire l'inventaire des stocks de nourriture...
Elle ne rechignait pas à la tâche, loin de là, surtout quand l'objet de la demande était aussi crucial pour la survie des siens. Non, cela l'agaçait parce que certains n'avaient pas sa rigueur ou son désintérêt et préférais oublier la dure réalité de leur situation en se fracassant la tête à l'alcool maison plutôt que d'assurer leur poste.
Elle avait envie de hurler et aurait bien eu quelques idées sadiques bien placées pour apprendre à ces bons à rien l'importance de leur mission et le danger que leur immaturité et leur égoïsme faisaient peser sur toute la communauté.
Ses pieds frottaient le sol, alors qu'elle marchait d'un pas pressé.

Elle finit par tourner à une intersection pour arriver droit au bâtiment où les Millenium stockaient les vivres. C'était un ancien supermarché. Pas bien grand, il avait été baricadé en véritable forteresse : la survie de la communauté passant en grande partie dans le fait de la nourrir. Tôles, rivets et poste d'observation et de contrôle à l'entrée. Tout avait été fait pour empêcher l'attaque ou le vol des vivres. Pas très "communautaire" comme attitude disaient certains. Cela énervait beaucoup Amelia... S'ils comptaient à nouveau ouvrir leur porte à un homme qui viendra égorger leur femme et leurs enfants. S'ils comptaient à nouveau ouvrir leur porte à un homme qui viendra égorger leur femme et leurs enfants. C'était un mal nécessaire. Une sécurité minimum pour empêcher le chaos.
C'est l'anarchie, l'absence de règles qui avait fait chuter le monde. La vie en communauté impliquait des règles, des compromis de la part de chacun, du partage... En ces temps troublés, on était jamais trop prudent sur la sécurité...

Elle arriva au poste, salua l'homme de garde, précisa sa mission. Il était déjà prévenu par radio et elle pénétra sans difficulté dans le bâtiment.
Les vieux rayons avaient pour la plupart disparu de la salle principale, déménagés à l'arrière dans l'entrepôt pour être plus près des frigos et plus au frais. Cela permettait également aux membres non concernés par la distribution de la nourriture de ne pas avoir directement accès au stock en entrant. Ils ne pouvaient pas savoir combien il restait de vivres. Et ne pouvaient donc pas s'inquiéter du manque... Ou réclamer plus à manger.
Là encore, la méthode était sujette à débat, mais là encore, Amelia pensait que le compromis était juste. La panique et les émeutes aussi avaient participer à l'effondrement de l'ordre public...

Elle traversa la salle principale, aujourd'hui remise diverse de matériaux divers pour venir pénétrer dans l'entrepôt du stock, à l'arrière du supermarché. On avait tenté de gagner en conservation, utilisant des bâches isolantes contre le sas séparant les deux partis du magasin. L'efficacité était à démontrée... Mais c'était mieux que rien.

Enfin... c'était l'heure de se mettre au boulot.

Amelia fixa l’arme un instant, avant de jeter un œil au garde. Il semblait simplement faire son boulot. Elle coinça l’arme dans son pantalon, dans le dos, caché sous son haut. Elle ne pensait pas en avoir une quelconque utilité, mais sait-on jamais… avec les temps qui court.
Elle n’avait jamais approuvé réellement l’usage des armes, mais comprenait leur nécessité quand les plus faibles devaient se défendre dans cette société en déclin. Heureusement, à Minneapolis depuis que les Millenium avaient repris la plus grande partie de la gestion de la ville, les armes étaient principalement devenues dissuasives ; ou bien servaient à repousser les pillards et autres groupes venant chercher à foutre le merdier ici.

Elle rentra dans la réserve avec sa nouvelle acquisition et frissonna du changement de température lorsque l’air froid et sec vint l’agresser. Malgré sa tenue chaude en raison de la saison, la réserve climatisée était pire que le vent glacial qui soufflait en ville. Mais c’était nécessaire pour conserver au mieux leur nourriture. Ils dépendaient tous de ce système.
Et si le plus grand nombre apprenaient que ce qui les maintient en vie est un système de climatisation à l’agonie, branlant et qui pouvait lâcher d’un jour à l’autre… Amelia n’osait imaginer la panique que ça provoquerais.
Enfin, c’était son job et celui des autres personnes chargées de l’entretien, de faire en sorte que continue à tourner correctement. Cela n’empêchait pas la jeune femme de serrer les dents et de croiser les doigts quand, chaque fois qu’elle pénétrait dans la réserve, elle entendait le son assourdissant des machines. Des sons de ventilateurs et de métal, comme un long cri de supplice omniprésent. Une agonie interminable.

Pour éviter de penser à cette survie précaire, la mécano se mit immédiatement à sa mission du jour : l’inventaire. Cela serait long, mais nécessaire, pour mieux cibler les besoins et les manques de la communauté, pour trouver un moyen d’y pallier au plus vite.
Elle avançait minutieusement, consciencieuse. Notant les différences avec le précédent inventaire, datant de quelques semaines. Comparant les entrées et les sorties notés scrupuleusement dans un registre. Relevant les anomalies. Elle découvrit quelques cadavres de paquets de nourritures éventrés derrière des étagères, preuves d’un crime égoïste de la part d’un membre de la communauté.
Elle aussi aurait pu améliorer son train de vie et se faire un plaisir culinaire qu’elle n’avait pas connu depuis plusieurs années déjà… mais elle ne pouvait se résoudre à ce qu’elle considérait comme du vol, pensant aux personnes qui, elles, n’avaient même pas le droit d’entrée ici, devant attendre à l’extérieur qu’on leur apporte leur demande. Pensant à ces personnes qui avaient plusieurs bouches à nourrir de retour chez eux. Pensant toutes les personnes qui avaient confiance dans la microsociété que les Milleniums avaient entretenue : cet idéal d’une société autogérée, participative et collaborative. Chacun avait sa place, chacun faisait sa part, tous était égaux.
C’est ce en quoi elle croyait, comme beaucoup d’autres.
Alors elle signala l’incident, entreposa les éléments restants des lots avec le reste et continua son travail.

Concentrée et assidue, Amelia finit l’inventaire relativement vite. Ce qui était assez inquiétant. Elle aurait volontiers passée deux fois plus de temps à le faire, si cela pouvait signifier qu’il y avait deux fois plus de stock à leur disposition. Les provisions diminuaient petit à petit et l’afflux de nouveaux membres chez les Milleniums était plus fort que la récolte de nouvelles denrées et autres ressources indispensable à leur survie à tous.

Elle avait trouvé un carton remplis de vieux morceaux de ferrailles derrière une pile de carton. La plupart était utilisable et demain juste à être rangé à leur place, le reste était bon pour les déchets. Peut-être pourraient-ils êtres fondus…
Au final, elle se retrouva avec une poignée de ressort qui n’avait nulle part où aller. Elle les nota sur l’inventaire et indiqua qu’elle les emportait.
Elle en aurait surement besoin pour une quelconque réparation ou amélioration dans les jours à venir.

Elle allait conclure quand l’un des derniers cartons de nourriture l’interpella. Les cartons que l’on ouvrait été clairement identifié et consigné dans le registre… pourtant, le carton éventré grossièrement devant elle n’était indiqué nulle part et l’état de celui-ci tranchait avec l’ouverture habituelle, toujours faite proprement.
Intriguée, elle s’approcha, l’examina attentivement et tenta de comprendre ce qui avait bien pu se passer. Une partie des denrées qui aurait dû s’y trouver étaient manquantes et rien ne semblait lui indiquer qui avait pu faire ça…

La colère monta doucement en elle, à mesure qu’elle mesurait l’étendue du vol. Elle se sentit bouillir peu à peu. Elle réinstalla rapidement son masque sur son visage, l'adrénaline augmentant le rythme et la force de sa respiration, l'obligeant à se reposer sur l'aide de l'accessoire. Elle se dirigea d’un pas rapide vers le garde surveillant l’entrée de la réserve qui lui avait fournie une arme un peu plus tôt, elle tenta de ne pas lui hurler dessus… même si sa voix ne laissait pas de place à la discussion :

« Loin de moi l’idée de vous critiquer… mais pouvez-vous m’expliquer comment diable quelqu’un à réussit à se barrer avec la moitié d’un carton de bouffe sans que vous ne vous en rendiez pas compte ?! » Sa voix s’emporta malgré elle un peu plus à chaque mots, si bien que la fin de sa phrase avait presque été hurlé. Tant pis pour la tentative de garder son sang-froid. « Je veux savoir qui à eu accès à la réserve depuis le dernier inventaire. On ne peut pas se permettre de perdre cette nourriture ! » Elle ne criait plus, mais n’était pas calme pour autant. Le ton était sec et sans appel, avec la sonorité toute particulière que sa voix a lorsqu'elle parle à travers son masque.